L’intérêt manifesté par les praticiens de la législation du travail et de la gestion des ressources humaines relativement à notre article précédent sur les conséquences de la revalorisation du SMIG en Côte d’Ivoire s’est traduit par des commentaires et questions fort enrichissants en ligne et sur les réseau sociaux . Le présent article vient exposer une autre conséquence de cette mesure et lever certaines zones d’ombre sur le sujet.

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1.Le relèvement des plafonds de cotisations sociales

Pour la branche de la retraite, le plafond passe de 2.700.000 FCFA à 3.375.000 FCFA. Cela se justifie par le décret n°85-320 du 23 avril 1985 qui fixe le plafond de l’assiette de cette cotisation à 45 fois le SMIG. C’est ainsi que le SMIG étant passé de 36.607 FCFA à 60.000 FCFA, le plafond était déjà passé de 1.647.315 FCFA à 2.700.000 FCFA depuis janvier 2021. Cela avait même fait l’objet d’une saisine du Conseil National Du Dialogue Social (CNDS) qui avait émis un avis favorable le 29 juillet 2020. C’est en tenant compte de ce décret que la CNPS a indiqué le nouveau plafond. Ces travailleurs qui ont des rémunérations supérieures à 2.700.000 FCFA verront le plafond relevé. Les taux restant les mêmes (6,3% pour les travailleurs et 7,7% pour les employeurs), ils cotiseront à partir du 1er janvier 2023 pour avoir une pension de retraite bonifiée pour ces travailleurs.

Quant au plafond pour les branches des prestations familiales et celle d’accidents du travail et maladies professionnelles, branches payées uniquement par les employeurs, elles sont ajustées au SMIG passant de 70.000 FCFA à 75.000 FCFA.

2.Les secteurs non visés par la mesure

Des commentaires judicieux ont nuancé à bon droit l’affirmation selon laquelle tous les secteurs étaient concernés. Effectivement certains secteurs tels l’enseignement privé laïc, l’enseignement catholique et l’agriculture ne sont pas soumis à cette mesure. Ils ne seront pas non plus au nouveau barème des salaires qui devraient sortir des négociations entre partenaires sociaux dans les prochaines semaines. Ils ont des barèmes spécifiques. Malheureusement les négociations n’ont pas encore permis de réviser ces barèmes obsolètes. Il est nécessaire d’ouvrir des négociations pour aider à une amélioration des revenus des acteurs de ces secteurs.

Il n’y a pas encore une législation particulière pour le secteur informel malgré le fait que plus de 90% de notre économie soit enfoui dans ce secteur. Les acteurs de ce secteur devront par conséquent payer au moins 75.000 FCFA en dehors de la prime de transport à leurs salariés. Les travailleurs domestiques sont dans une situation similaire.

3.Les salaires négociés en net ou en brut

Les rémunérations sont négociées en brut ou en net entre le travailleur et l’employeur. Avec la sortie prochaine du nouveau barème des salaires, les salaires catégoriels vont être revus à la hausse. La question est de savoir l’impact de cette revalorisation sur les salaires.

Pour ma part, les rémunérations négociées après la sortie prochaine du nouveau barème ou qui intègrent cette donnée dans les stipulations du contrat de travail ne devraient pas connaître de changement. Au contraire, les rémunérations arrêtées avant la mesure devraient connaître une augmentation du fait de la revalorisation du salaire catégoriel du travailleur d’un certain pourcentage selon les accords portant nouveau barème des salaires.

Par ailleurs, certains accessoires du salaire liés au salaire catégoriel seront aussi revus à la hausse : prime d’ancienneté, gratification, prime de panier, indemnité d’équipement, prime de salissure, prime de tenue, prime d’outillage, …

4.Les accords entre employeurs et travailleurs pour le maintien de l’ancienne grille

Certains employeurs seront tentés par faire de l’intimidation ou mieux des négociations internes pour maintenir les salaires actuels en dépit de la prise du nouveau barème. Comme l’indique l’article 8 du Code du Travail de la République de Côte d’Ivoire, « toute règle résultant d‘une décision unilatérale, d’un contrat ou d’une convention et qui ne respecte pas les dispositions dudit Code ou des textes pris pour son application est nulle de plein droit ». Ces actes pourront donc être attaqués par les travailleurs et un rappel sera imposé à tout employeur qui ne serait pas exécuté. Chaque travailleur ou les représentants du personnel doivent se charger de la bonne exécution de la mesure.

5. La fiscalité des salaires

Les cotisations sociales connaitront les changements indiqués plus haut. Il n’y a pas de changement quant à l’imposition des salaires. Un projet de reforme des Impôts sur le salaire est en cours d’analyse au sein de la Direction Générale des Impôts. Les travailleurs et employeurs ont été approchés pour faire leurs observations. La mesure n’a cependant pas encore été validée ni intégrée à l’annexe fiscale 2023. Le système actuel reste donc en vigueur.

Certains travailleurs verront leur salaire net baisser parce que les retenues sociales augmentent et la tranche d’imposition fera basculer certains travailleurs dans des retenues plus importante. Il y a donc une analyse et une communication à faire.

6.Voies de recours et application de la mesure

Beaucoup de commentaires ont fait état du problème de suivi de la décision de revalorisation du SMIG. Cela est d’autant plus vrai qu’une bonne partie de notre économie (+de 90%) et notre marché du travail est dans l’informel, échappant ainsi aux organismes de contrôle de l’Etat. Ces organismes de contrôle, tels les services d’Inspections du Travail pour le monde du travail, critiquent en vain le manque de moyens matériels et humains. Il faudra alors accompagner de telles mesures par la dotation de ces organismes en moyens conséquents.

7.Les difficultés des employeurs

Les employeurs sont ceux qui paient et perdent le plus dans cette revalorisation des salaires. Ils doivent payer des salaires plus élevés à leurs travailleurs. Ils paieront aussi plus de cotisations sociales et fiscales alors qu’ils n’ont pas plus d’activités et de marchés qu’auparavant. Aucune mesure n’a encore été prise pour alléger leurs charges, accroître leurs activités ou augmenter leurs bénéfices. La plupart ont déjà préparé le budget 2023 lors du dernier trimestre 2022. Avec cette nouvelle mesure qui viendra grever leur trésorerie, il y a de gros risques économiques pour eux, de plans sociaux à terme et d’entrée dans l’informel pour beaucoup de Très Petites Entreprises et de Petites et Moyennes Entreprises.

Des mesures complémentaires doivent être envisagées pour soutenir les entreprises.

Ulrich DJE

Administrateur principal du travail et des lois sociales

Expert en Législation du Travail et Gestion des Ressources Humaines

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